Génération ENSP
Génération ENSP
Reflétant la collaboration durable entre les Rencontres d’Arles et l’École nationale supérieure de la photographie, le festival met en lumière une nouvelle génération d’artistes issu·e·s de l’ENSP. Depuis plusieurs années, des diplômé·e·s de l’école sont invité·e·s à exposer leurs travaux dans la programmation officielle. Les œuvres présentées cette année ont été réalisées à l’occasion de leur diplôme, obtenu en juin 2025.
La commissaire Yasmine Chemali a sélectionné les projets de Calista Bizzari Malou, Mathis Clodic et Rıfat Göbelez pour la richesse et la singularité de leurs démarches, reflétant la diversité des approches esthétiques et conceptuelles à l’ENSP.
Dans gestes magiques, gestes politiques, Calista Bizzari Malou nous emmène dans les Pyrénées, ainsi que dans le massif de Marseilleveyre, auprès d’une jeune bergère et d’une jeune herboriste, qui incarnent des manières de faire monde avec le vivant. Par une combinaison sensible de vidéos, textes et tirages, elle transforme l’image documentaire en une surface d’interprétation où se mêlent matérialité, rêve et transmission. Ses gestes filmés sont à la fois de l’ordre du rituel et de l’acte de résistance, fragiles et puissants.
Avec Antioche(s), Rıfat Göbelez explore une montagne et une ville stratifiées par les couches successives d’histoire et de séismes. Loin de tout sensationnalisme, sa démarche contraste avec le prisme de la catastrophe adopté dans les journaux et les discours publics. Son approche sensible refuse la stigmatisation d’un territoire qui s’effondre.
An Eternal Wasteland de Mathis Clodic propose une archéologie de l’immatériel. En explorant les ruines numériques d’un jeu vidéo, il révèle un paysage figé et déserté, hanté par le passage de millions de joueurs. Par des procédés photographiques traditionnels, il fait glisser ces espaces virtuels vers la matérialité, construisant l’archive d’un fantasme et convoquant un sublime inattendu dans l’univers du jeu vidéo.
Dans ces trois projets, l’image s’inscrit comme un espace de mémoire, où se joue une relation au sujet sur le temps long ; une démarche d’observation patiente, qui pose un regard engagé sur notre rapport au monde.
Ayant suivi une formation d’histoire de l’art et de conservation du patrimoine à l’École du Louvre, Yasmine Chemali devient responsable d’une collection privée de photographies de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, la collection Fouad Debbas. Elle est ensuite nommée responsable des collections d’art moderne et d’art contemporain et régisseur au musée Sursock de Beyrouth entre 2014 et 2020. En 2020, elle regagne Mougins pour y dédier son savoir-faire et exigence en matière de conservation et de gestion des expositions.
Calista Bizzari Malou a 26 ans. Après une classe préparatoire et une licence aux Beaux-Arts de Lyon, elle obtient son DNA en 2021, puis intègre l’ENSP d’Arles. Elle est diplômée avec les félicitations du jury en juin 2025. Dans son travail, Calista Bizzari Malou s’intéresse au(x) geste(s) : le geste du particulier, le geste artisanal, le geste paysan. S’ils peuvent paraître anodins, ils réintroduisent un certain rapport au monde et au Vivant, plus respectueux, plus lent, devenant ainsi profondément politiques. Avec sa série de films La construction du fromage, ainsi qu’à travers plusieurs photographies, Calista dresse le portrait de Martha Fély. Martha est bergère. Pendant les quatre mois que représentent l’estive, elle habite une cabane à 1700 mètres d’altitude dans les Pyrénées-Atlantiques. Là-bas, les brebis vivent en semi-liberté, sont traites là main et ont le temps d’être auscultées, soignées et caressées. Elles dorment à la belle étoile adossées à la cabane de Martha, ont un nom, une identité. Tous les jours, après et avec le lait de la traite, Martha fabrique du fromage.
Avec le film La cueillette du romarin, Calista fait le portrait de Brune Pâris. Brune vit à Marseille. À côté de sa profession d’artiste, elle est herboriste. Au sein de son école et auprès de ses pairs, elle apprend et réinvestit ces savoirs faire ancestraux, encore délaissés et fortement réglementés. Pour sa pratique d’herboriste, Brune cueille des plantes sauvages. Elle cueille pour les qualités nutritives, médicinales mais aussi et simplement, pour mieux connaitre et vivre avec le Vivant.
Mathis Clodic a 26 ans. Après un DNA à l’École européenne supérieure d’art de Bretagne, puis un passage à La Cambre à Bruxelles, il intègre l’ENSP d’Arles. Il est diplômé avec les félicitations du jury en juin 2025.
Mathis a débuté son parcours artistique par la peinture et la sculpture, des pratiques qui continuent de nourrir son travail aujourd’hui. Ce rapport direct à la matière et au geste reste essentiel pour lui. Il garde un attachement fort à la forme plastique, au fait de produire des formes dans un lien physique et sensible avec les matériaux. Un processus qu’il cherche encore à alimenter.
Entre 2009 et 2015, il a passé de nombreuses heures à jouer à Call Of Duty : Modern Warfare 2, un jeu de tir à la première personne (FPS) mettant en scène un conflit mondial fictif. Modern Warfare 2 s’est vendu à des millions d’exemplaires, il a marqué une génération, mais est désormais obsolète et déserté. Avec un regard emprunt de nostalgie, il explore aujourd’hui les paysages abandonnés de cet univers digital. Nommé: «An Eternal Wasteland», ce projet réunit un ensemble d’images et de vidéos où se croisent différentes influences artistiques. On y retrouve des références explicites à la tradition romantique, au pictorialisme, mais aussi au «Temps scellé» d’Andrei Tarkovski. Ainsi, il cherche à sauvegarder les traces d’un univers immatériel existants seulement sous forme de souvenirs et de lignes de codes. Dans ce travail, Modern Warfare 2 devient un lieu de contemplation où le spectateur est invité à découvrir une étrange temporalité. An Eternal Wasteland offre une réflexion sur le processus d’éternisation à l’œuvre dans les ruines d’un jeu déserté.
Né en 1995 à Bursa, Turquie.
Vit et travaille à Arles, France.
Après des études à la Haute école des arts du Rhin à Mulhouse, Rıfat Göbelez est diplômé de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles en 2025. Sa pratique photographique adopte une approche directe du réel et s’apparente à une forme d’archéologie qui interroge des enjeux territoriaux et civilisationnels.
Avec Antioche(s), Rıfat Göbelez explore une montagne et une ville stratifiées par les couches successives d’histoire et de séismes. Loin du voyeurisme ou de la dramatisation, la démarche de Rıfat Göbelez contraste avec le prisme de la catastrophe adopté dans les journaux et les discours publics. Son travail de séries photographiques en noir et blanc ponctuées de grands formats, traduit une approche sensible et refuse la stigmatisation d’un territoire qui s’effondre. Il cherche à lire le paysage avec une frontalité, pour questionner notre rapport à cette terre marquée par l’instabilité.

Mathis Clodic. De la série S.S.D.D. “same shit different day”, 2024.

Rifat Göbelez. Vue dégagée par l’effondrement d’un bâtiment, décembre 2023, série Antioche(s), 2023-2024.

Calista Bizzari Malou. Câlin du soir, Lhurs, 2023.